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Janvier 2013 | Rapport sur le camp des réfugiés et des demandeurs d’asile de Choucha

Par Centre de Tunis pour la Migration et l’Asile (CeTuMA)

1. Le cadre général de la situation des réfugiés et demandeurs d’asile au camp de Choucha

Suite à la guerre en Lybie entre février et octobre 2011, durant laquelle une coalition regroupant les pays membres de l’OTAN associés à des pays arabes comme le Qatar, a pesé sur le sort de la guerre, des centaines de milliers des personnes se sont enfuies vers la frontière tunisienne. Plusieurs camps sont nés pour abriter ces exilés. Après le retour et le rapatriement de la grande majorité de ces personnes et après la chute du régime libyen et le retour en Libye de centaines de refugiés libyen, seul un camp est toujours existant, celui de Choucha, implanté à 7 km du post frontalier de Ras Jedir (1). Le HCR a traité, jusqu’à la fin de 2011, 4 670 dossiers de demandeurs d’asile, dont 3 500 ont obtenu le statut de réfugié. Plus de 2000 refugiés ont été réinstallés dans une quinzaine de pays d’accueil (2). Mais le HCR a continué à traiter des dossiers de nouveaux demandeurs d’asile arrivés après décembre 2011, date limite fixée par cette organisation pour le programme de réinstallation.

En ce début de l’année 2013, les habitant du camp de Choucha se repartissent selon cinq catégories:
Les réfugiés reconnus par le HCR admis à la réinstallation : Il s’agit des personnes qui ont été sélectionnés par des pays d’accueil et qui attendent le départ.

  • Les réfugiés reconnus par le HCR mais pas encore admis à la réinstallation : il s’agit des réfugiés en attente de l’examen de leurs dossiers par des pays d’accueil. Leur réinstallation n’est pas assurée, car subordonnée aux critères établis par ces différents pays. Ces personnes risquent de rester en Tunisie après la fermeture du camp programmé par le HCR en juin 2013.
  • Les réfugiés sans possibilité de réinstallation : malgré la reconnaissance de leur statut de réfugié, ils ne seront pas réinstallés car enregistrés après la fin du programme de réinstallation dont le délai arrivait à terme le 1 décembre 2011.
  • Les demandeurs d’asile déboutées : il s’agit des personnes auxquelles le HCR n’a pas octroyé le statut de réfugié. Ils ne sont plus considérés comme faisant partie de la compétence du HCR qui leur refuse désormais le bénéfice des services du camp (nourriture, soins médicaux, autres services…).
  • Les personnes arrivées au camp après le 1er décembre 2011 et qui ont déposé des demandes d’asile et qui attendent toujours une réponse du HCR à leurs demandes.

Les procédures de détermination du statut de réfugié ont duré plusieurs mois et des erreurs été relevées à ce niveau. Nous citons, à titre d’exemple, les fautes dans la transcription des noms et la désignation des nationalités d’une pièce à une autre des dossiers. D’un autre coté, plusieurs témoignages font état de la présence d’interprètes qui appartiennent à des clans ou à des groupes ethniques ennemies de ceux auxquels appartiennent les demandeurs d’asile (comme c’est le cas des Soudanais du sud ou du Darfour).

Tous les habitants de Choucha ont vécu des expériences de guerre et de violence, d’abord dans leur pays d’origine. Ensuite, ils ont subi des violences et violations de leurs droits lors de leur présence en Libye avant de s’enfuir en Tunisie, suite à l’éclatement du conflit libyen.
Il est clair que les pays membre de l’OTAN et des autres pays qui ont soutenu cette coalition ont une responsabilité indiscutable dans la solution des problèmes humanitaires consécutifs à cette guerre. Le camp de Choucha en est l’illustration parfaite.

2. Souffrances et périls au camp de Choucha

La vie quotidienne à Choucha est extrêmement difficile.? Situé dans un environnement désertique, ses occupants sont exposés aux variations de températures extrêmes et à de fréquentes tempêtes de sable. Depuis deux ans, la majorité d’entre eux vivent sous les tentes, exposés au froid des nuits d’hiver ou sous le soleil torride des jours d’été.

Ces personnes souffrent de conditions de vie et d’hygiène rudimentaires, alors que parmi eux il y a des groupes vulnérables, notamment des personnes âgées, des femmes enceintes, des enfants et des malades qui ont besoin de soins et des formes d’assistance spécifiques.

Bien que la sécurité du camp est supposée être assurée par l’armée tunisienne, la situation est très instable. La carence des services et des conditionnes de vie dignes créent des tensions dans le camp. Des conflits entre communautés de refugiés et des tensions avec les habitants de la ville voisine de Benguardane, ont donné lieu à des incidents et à des violences (deux incendies ont ravagé le camp, l’église a été saccagée, et des morts et de blessés ont été enregistrés, surtout en 2011).

Les tensions se sont exacerbées à cause des différences de traitement entre les refugiés reconnus et les demandeurs d’asile déboutés, ce qui a crée des conflits et des divisions entre ces différents groupes. Si les réfugiés reconnus bénéficient des services du HCR, les déboutés, de leur coté, ont été progressivement privés de l’accès à ces services de première nécessité, comme la nourriture et l’assistance médicale, et ils se retrouvent dans une situation de discrimination.

En janvier 2013, des manifestations et des émeutes ont éclaté entre la population de Benguardane et les forces de l’ordre suite à des problèmes liés à la gestion de la circulation à la frontière tuniso-libyenne. En conséquence, la route entre Benguardane el la frontière, qui passe par le camp de Choucha, a été bloquée, et l’accès au camp des operateurs de l’HCR a été strictement limité aux équipes de secours médical durant toute une semaine. Les tensions dans cette zone rendent le travail des organisations humanitaires difficile. Pendant ces deux années de vie du camp, elles ont souvent dû le quitter pour de raisons de sécurité, alors que les habitants du camp n’avaient d’autres alternatives que de rester sur place souvent sans aucune assistance.

3. Situation de non-droit

Tous les réfugiés sans espoir de réinstallation et les demandeurs d’asile déboutés sont exposés à une situation de non-droit en Tunisie. En effet, ce pays ne dispose pas encore d’une loi sur l’asile malgré sa signature de la Convention de Genève et de la Charte de l’Organisation de l’Union Africaine (3). Ceci signifie que les déboutés mais aussi les réfugiés qui risquent de ne pas trouver de pays de réinstallation se retrouvent en situation illégale en Tunisie. Rester sans papiers dans ce pays signifie être soumis à la loi tunisienne sur les étrangers qui prévoit l’enfermement pour qui reste irrégulièrement sur le territoire tunisien.

Pour le moment, le HCR soutient le gouvernement transitoire tunisien dans la préparation d’une loi nationale sur l’asile, mais il semble que les autorités tunisiennes actuelles ne considèrent pas cette loi comme étant prioritaire.

Des informations font état d’un accord signé entre le HCR et le Croissant Rouge prévoyant un programme d’intégration dans plusieurs villes du sud tunisien pour les refugiés qui ne bénéficieraient pas de la réinstallation. Ce programme est destiné à fournir une aide financière pour les déplacements et l’hébergement et à offrir des cours de formation professionnelle pour les réfugiés, ainsi que des microcrédits pour la création d’entreprises. Cependant, ce programme cache des risques. Tout d’abord, le statut de ces personnes restera incertain vis-à-vis de la loi tunisienne, ce qui les empêcherait de bénéficier de droits comme le travail, le séjour et les services publics. De plus, leurs chances d’intégration ne sont pas assurées dans la situation de crise économique et de chômage que connaît la Tunisie et particulièrement la région du sud.

Quelles solutions ont ces personnes :

  • Retourner à leur pays d’origine ? Pour les déboutés, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) a proposé un plan de retour volontaire « assisté ». Mais la majorité de ces personnes risquent, si elles rentrent, de subir de graves violations des leurs droits fondamentaux. Le fait qu’elles soient restées deux ans dans le camp dans des conditions de vie difficiles démontre la gravité et la véracité du péril auquel elles feraient face lors d’un retour dans leurs pays.
  • Retourner en Libye ? Même si la guerre en Libye est terminée, les étrangers et en particulier les migrants subsahariens sont exposés à de sérieux risques de violences et de violations en raison surtout des l’insécurité et du règne de milices. Déjà, lors de leur fuite de Libye, beaucoup d’entre eux ont été victimes d’expériences traumatisantes (violences physiques, racket, enfermement et abus divers). De plus, des nombreux cas de ceux qui ont quitté le camp de Choucha pour tenter un retour en Libye, ont été emprisonnés ou assassinés (4).
  • Traverser la mer pour l’Europe? Une autre solution envisagée par plusieurs personnes est de s’embarquer dans des bateaux pour l’Europe au péril de leur vie. Déjà en 2011 et en 2012, devant la lenteur des procédures d’asile, certains ont choisi la traversée de la Méditerranée dont plusieurs n’ont plus donné de nouvelles (5). Plus de 1500 morts (6) et disparu-e-s en mer en 2011 ont été dénombrés par les organisations internationales (HCR, MigrEurop, FortresseEurop…etc) ce qui ne peut qu’augmenter les craintes pour la sécurité de ces personnes (7).
  • Rester en Tunisie illégalement ? Comme nous l’avons expliqué plus haut, cette solution laisse ces personnes dans une situation de non-droit et de précarité.

Le camp de Choucha est donc en train de fermer alors qu'aucune solution durable n'a été donnée à une partie de ceux qui y habitent encore. (8)

Les refugiés entretemps se sont organisés et ont mené plusieurs actions et revendications auprès du HCR et des institutions internationales présentes en Tunisie. Le 28 janvier 2013, les déboutés, soutenus par des activistes tunisiens et internationaux, ont organisé un sit-in en face du siège de l’HCR à Tunis pour revendiquer leur droit à une solution à leur condition.

Ils demandent au HCR, aux gouvernements européens et aux autorités tunisiennes d’assumer, chacun de son côté, leurs responsabilités.

4. Nous demandons :

Au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés:

  • le maintien de tous les services du camp tant que des réfugiés et demandeurs d’asile y demeurent
  • le ré-examen de toutes les demandes de protection des réfugiés rejetés pour les raisons que nous avons avancées ci-haut
  • l'accès à la réinstallation pour toutes les personnes ayant obtenu le statut de réfugiés

Aux gouvernements européens et aux pays membres de l’OTAN :

  • D’assumer la responsabilité des consequences humanitaires de leur intervention pendant la guerre en Libye en travaiilant à assourer une solution dourable et digne à toutes les personnes encore presentes au camp de Choucha
  • De prendre toutes les mesures nécessaires à la prise en charge, l’assistance et pour la réinstallation des réfugiés
  • De mettre en pratique leur discours de solidarité avec la Tunisie, pays en transition dèmocratique

Aux autorités tunisiennes :

  • D’assumer leurs responsabilités d’assistance humanitaire au profit de ces personnes en attendant une solution durable de leur situation
  • De veiller au bon traitement et à la protection de l'intégrité physique et de la dignité de tous les demandeurs d'asile et réfugiés présents sur le territoire tunisien jusqu’à la solution durable de leur situation. Ceci passe aussi par le respect absolu des engagements internationaux de la Tunisie en matière de protection des droits de ces personnes, dont le non refoulement
  • De travailler pour l’écriture d’une loi sur l’asile et la création des dispositifs nécessaires à l’accompagnement et à l’intégration des demandeurs d’asile et des refugiés en Tunisie (9)

5. Organisations signataires :

Centre de Tunis pour la Migration et l’Asile (CeTuMA) ;

(1) REMDH & CeTuMA & FTDES : La société civile tunisienne et les droits fondamentaux des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés. Travaux du colloque de Zarzis. 25-26 novembre 2011.
(2) Reseau Euromed, Asile et Migration dans le Maghreb. Fiche de Renseignement. Tunisie, Copenhague, Décembre 2012, 66 pages. http://www.euromedrights.org/eng/wp-content/uploads/2012/12/Tunisia-Factsheet-Final-EN.pdf
(3) CeTuMA & REMDH & Heinrich Böll Stiftung : Quelle politique migratoire de la Tunisie ? Enjeux et défis. Colloque de Tunis. 11-12 octobre 2012.
(4) Voire rapport de l’FIDH Reseau Euromed et Amnesty
(5) Nicanor Haon, « Tunisie : pas de printemps pour les migrants », FTDES, Gisti, 2012.
(6) UNHCR, « Triste record pour les traversées de la Méditerranée par les migrants et les réfugiés en 2011 », point de presse, 31 janvier 2012 ; http://www.unhcr.fr/4f280ad3c.html
(7) FTDES, « La situation des réfugiés du camp de Choucha », en collaboration avec le réseau B4P, aout 2012.
(8) Quel sort pour les réfugiés après la fermeture du camp de Choucha ? Communiqué de presse du FTDES
(9) Voir aussi les recommandations d’organisations de la société civile sur les enjeux et les conséquences sur les droits humains du Partenariat pour la Mobilité Tunisie-UE (http://www.euromedrights.org/fra/2012/12/05/partenariats-pour-la-mobilite-ue-tunisie-mobilite-reduite-et-sans-droits/)